par jadlat

Madmagz, ceci n’est pas un journal

20 décembre 2011 dans Eduquer/Enseigner
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Ce titre à la manière de qui vous savez, pourrait aussi s’intituler « cette forme n’est pas une mise en forme mais un gabarit ».

Madmagz est un site, type 2.0, que j’ai découvert dernièrement et qui me semble récent si j’en juge par le copyright. Il fournit un service de création de journaux à partir de templates sélectionnés par l’usager. Tout le monde peut désormais faire son propre journal qui aura une apparence professionnelle ou qui va permettre à des structures peu importantes de construire leur journal à moindre frais. Pourquoi pas ?

Pourquoi alors ce titre un peu doux-amer ? Parce qu’une des cibles visées est le scolaire :

Scolaire : journal de classe, de lycée, TPE, BDE…

 

… et plus particulièrement les TPE pour travaux personnels encadrés.

Je n’aurai pas eu besoin de m’en inquiéter si justement nous n’étions pas en pleine finalisation des TPE dans l’établissement où je travaille. Et si justement quatre groupes n’étaient pas venu me voir, directement ou indirectement, pour soit me demander d’enlever une mention, soit me demander si je n’avais pas entendu parler d’un site qui…, soit ce qui m’ennuie encore plus qu’il n’avait pas trouvé l’outil adéquat en interne.

C’est quoi les TPE ?

Il s’agit d’une production collective répondant à une problématique construite par le groupe d’élèves et évaluée au baccalauréat. En ce qui concerne le sujet de ce billet, on peut noter que « les élèves peuvent envisager tout type de réalisation sur des supports divers tels que maquettes, poèmes, une de journal, dossier écrit, expérience scientifique, vidéo, représentation théâtrale, pages Internet, affiches, etc. »

Il s’agissait même d’un des aspects les plus importants des TPE : la construction par les élèves d’une forme innovante (par rapport aux traditionnelles demandes scolaires) en adéquation avec le contenu du TPE et respectant les codes en vigueur pour cette forme. Ce n’est pas anodin même si la production compte peu dans l’évaluation finale, elle l’influence fortement car elle est le résultat d’un processus maitrisé dans lequel évolution du groupe, mise en forme et apprentissages cognitifs individuels interviennent de concert.

Faire un journal, pouvait donc être une des formes choisies (et je l’ai vue plusieurs fois et avec souvent des trésors d’inventivité de la part des élèves). Il s’agit donc pour les élèves de réfléchir en terme de mise en page, de paratexte, d’ours, de choix d’une charte graphique en cohérence avec le contenu.

Il s’agit ainsi de scénariser la production en travaillant sur la cohérence des articles journalistiques et en multipliant les formes choisies (interview, article exposant un fait, édito…) afin de pouvoir présenter la problématique et y répondre.

Il s’agit aussi de travailler sur le rapport entre l’image et le texte et sur la mise en page de l’article entre images, textes, encadrés, mise en avant des éléments clés etc. visant à ce que les différents éléments se renforcent les uns les autres afin de faire passer un message.

C’est un authentique acte de création. Et cet acte est outillé. Soit les élèves passent par le collage en lien avec un outil de traitement de texte et cela peut donner de très bons résultats, soit il utilisent un outil dédié pour la conception et la réalisation complète de leur journal. Il travaille donc avec des objets qu’ils manipulent et construise les pages les unes après les autres.

La charte graphique est appliquée a posteriori ou les élèves, avec un peu plus de maitrise des outils, peuvent créer des templates (les fameux gabarits) permettant d’évacuer la mise en forme une fois pour toute.

C’est aussi un apprentissage des règles de la forme qui influence fortement le contenu. Pour ceux qui ont un doute, que serait twitter sans ces 140 caractères ? Et les écoliers sans la marge rouge de leurs cahiers ?

Où est le problème ? Justement il est dans cette notion de gabarit.

Selon Wikipedia :

Un gabarit, souvent nommé en informatique template ou layout1, est un patron de mise en page où l’on place images et textes. Aussi, il est souvent utilisé de manière répétitive pour créer des documents présentant une même structure. On parle aussi de patron comme en couture ou bien, parfois, de grille.

Dans un système de ce type, la forme n’est pas faite par l’élève qui se contente de faire du copier coller et d’uploader des images dans des places prédéfinies. Il n’y a plus de travail de création de la part de l’élève, qui n’a par exemple pas la possibilité de partir d’une page blanche pour construire sa forme mais qui joue avec des objets qui lui sont donnés, souvent sans se soucier de la cohérence entre contenu et contenant, pourvu que cela fasse joli ; pourvu que cela fasse vrai !

Surtout on va assister à une standardisation des formes, comme on peut le voir par exemple dans les blogs où quelque soit les templates choisis perdure l’identité de la plateforme. On sait ce qu’est un blog wordpress par exemple. C’est bien pratique pour communiquer mais cela laisse peu de place à la créativité et surtout à l’apprentissage. Et je suis quelqu’un qui pense que nous devrions tous apprendre le html et mieux le php et le css.

Enfin, last and least, la sortie pdf est payante à 9,90€ et pour une sortie professionnelle, il y a le passage par un devis. Pour l »obtention, du bac, un élève pourra payer 9,90€ ou plus et croire qu’il a fait le boulot. Cependant il va se trouver de plus en plus exclu de la mise en page, de la mise en forme et finalement de l’apprentissage. C’est dans la mise en forme qu’il y a apprentissage. Et sous prétexte de nous faciliter la vie par des technologies de plus en plus transparentes, et de nous pousser à ne considérer que le contenu il y a exclusion de la mise en forme.

Je crois que ces technologies nous asservissent au lieu de nous libérer.

Article initialement publié sur mon blog