Manifeste pour une école publique

3 juin 2009 dans Organisation apprenante
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Dernièrement je suis allé sur Wikipedia, entretenu par de gentils internautes bénévoles au temps compté, pour y chercher de l’information sur Victor Hugo, le célèbre. Quelle ne fut pas ma surprise, même si l’article était par ailleurs très intéressant, de constater l’absence de trace d’aucun travail scolaire, pas la moindre note issue des millions de double-pages de fiche de lecture d’élèves (jetées aux ordures depuis, sans aucun doute). Combien de mégatonnes devrait peser l’impression même miniature d’une synthèse de tous les cours et études passées (et à venir, soyons fous en anticipant quelque peu) de toutes les écoles de France, de la francophonie, du monde par le biais de traductions (automatiques s’il faut vraiment préférer engager nos innombrables écoliers dans des travaux dénués de tout intérêt public) qui ont sans nul doute existé sur ce mince sujet ?
Je veux bien être taxé de naïveté à croire que malgré le filtrage expert de nos plus illustres penseurs il resterait tant de choses intéressantes des travaux d’adolescents boutonneux si peu intéressés… en conclure qu’une vingtaine de pages suffisent pour traiter le sujet parmi lesquelles trois servent à lister les oeuvres de l’auteur et une autre les principales adaptations (qui tiennent chacune sur plus de 20 pages en sortant de Wikipedia) que d’autres que lui-même ont pourtant jugées indispensables, me semble cavalier.

Je durcis le trait car bien des pages référencent et commentent le travail de Victor Hugo. Parmi celles-ci doivent bien se trouver par hasard quelques notes d’étudiants ou anciens écoliers passionnés, désireux de partager et discuter autour de cet écrivain reconnu en bravant les admonestations des professeurs et autres autorités intellectuelles accusant le web de tous les maux.
Mais, piquée au vif, ma curiosité m’emmena plus loin. J’ai proposé la requête à mon moteur de recherche le sujet plus fameux qu’intéressant « Vous êtes sur une île déserte avec un seul objet, lequel et pourquoi ?» que j’ai plusieurs fois rencontré dans ma vie scolaire et en plusieurs langues, mais rien n’en est sorti (disons pas grand chose) et je me suis pris à songer aux quantités de sujet intéressants proposés aux élèves de maintenant. Qu’en est-il par exemple des médiatiques sujets du bac philo ? On peut bien trouver sur des sites ayant pignon sur rue des débuts de corrigés ridicules dont on (des)espère qu’ils (ne) soient (pas) écrits par des professeurs et dont on ne peut hélas pas réellement discuter tandis qu’ils concernent bien souvent toute l’humanité. J’ai noté notamment des réflexions sur l’art, ou pire sur une science du 19è siècle qui n’a plus cours avec des considérations sous-jacentes qui sous-entendent le magique et le dogme quel qu’il soit (on peut avoir peur à l’idée que le système scolaire actuel prépare l’Intelligent Design). La question est celle-ci: faut-il avoir passé une fois des concours qui présupposent dans leur structure même l’existence d’un ordre supérieur des choses pour traiter de ces problèmes avec intelligence (et les manuels surannés d’être continuellement critiqués, plus en raison de leur manière d’aborder la question de la connaissance elle-même plutôt que dans le contenu) ? Il ne s’agit pas ici de celle des professeurs qui sont des médiateurs entre différents espaces sociaux, quoi qu’on en dise même si ce genre de terme est trop souvent utilisé par des personnes qui souhaiteraient éradiquer toute forme d’autorité pourtant nécessaire et aujourd’hui en redéfinition dans une organisation de classe en un réseau plus complexe que le système hiérarchique. On se redemandera sans doute un jour si le web est ou n’est pas un espace publique, si la mesure de la richesse d’une relation peut se faire par l’intermédiaire de métriques quantitatives comme le propose le droit d’aujourd’hui. Toujours est-il que nous disposons aujourd’hui, avec le web notamment, des moyens de médiatisation pouvant servir au recyclage social de la production scolaire plutôt qu’a la création d’une industrie toujours productrice de déchets comme c’est le cas aujourd’hui.

Si on calcule le nombre d’heures passées par des mineurs ou des travailleurs à l’école, quelque soit leur niveau, dans le tout petit pays qu’est la France nous avons vite le vertige, sans compter les diverses préparations des uns et des autres. Si on ajoute le considérable marché qui boucle là-dessus en circuit fermé -soutien scolaire (et parents compris), presse scolaire (d’ailleurs Hugo vendrait-il encore sans la médiatisation originale proposée par l’école?), fournitures (et son recyclage, on image les tonnes de papier, les litres d’encre accumulés)…- on ne comprend plus trop comment on peut encore soutenir l’édifice de l’école. Avec l’âge les étudiants ne manquent d’ailleurs pas de faire observer l’impression d’incongruité à produire ou accumuler des connaissances qui ne leur resserviront que sous la forme de nouvelles connexions nerveuses hypothétiques. Si je sors des problématiques familiales et professionnelles je n’ai pas grand-chose à faire du spectacle des cours magistraux, à l’école primaire ou ailleurs, encore qu’on pourrait se demander parfois si redevenue véritablement publique, même cette école-là ne pourrait pas être encore utile à l’adulte déjà formé, mais qu’en est-il du sens qu’ils apportent ?
Au sein de l’école, à quelque niveau que ce soit, le professeur (maître ou mentor) et les élèves (disciples ou novices) fournissent un travail de manipulation ou d’acquisition des méthodes de manipulation de l’information. Ce travail ne sort de la classe que sous forme de métrique de surveillance (on dit « qualité » pour être branché, en réalité il s’agit de chiffres et il faut être adepte de numérologie pour y trouver une réelle signification) ou plus tard comme une compétence personnelle utile, peut-être, à l’intégration du futur citoyen, que celle-ci passe par le travail rémunéré ou bénévole, un rôle familial ou toute autre interaction sociale. En attendant ces divers moments de recyclage le travail en lui-même est perdu, ou disons sa production, dans une sorte d’entropie systématique.

Au sein de la classe sanctuarisée les problématiques familiales, références émotionnelles du jeune élève, sont évacuées au maximum pour faire place à la problématique plus générale de civilisation. Pourtant celle-ci est aussi plus ou moins atténuée pour permettre à l’individu novice de se développer en toute sécurité. On pourrait parler d’espace transitionnel qui s’agrandirait au fur et à mesure et de son objet dématérialisé qui serait orienté par le professeur vers l’information, provoquant la création de fétiches re-symbolisés et peut-être, pourquoi pas, de la volonté secrète d’une mise en scène.
S’il existe de vrais dangers potentiels dans la classe (et une organisation en réseau, encore une fois, en enlevant au professeur le rôle d’acteur privilégié, ne pacifie en rien un espace social), ou plus largement dans l’établissement de l’école, les parents ne sont pas simplement confrontés à la prévention de ceux-ci qui sont surtout pris en charge par le personnel enseignant. Il s’avère qu’il y a réelle concurrence entre deux espaces fermés, avec des objectifs de performance (individuels pour les parents, collectifs pour le système éducatif), des obligations juridiques parfois comparables, des liens affectifs entre les participants différents mais toujours présents. Dans une société collaborative cette concurrence est facilement vaincue et les relations de personne à personne règlent les éventuels débuts de conflit si le temps du dialogue peut être pris. Dans la nôtre, avec des citoyens demandant le spectacle d’une politique faussement autoritaire (fantasme d’un état organisant un espace transitionnel pour adultes où l’enfant serait un avatar de la puissance parentale au sein de l’école) et des parents dirigés vers la démonstration de la performance jusque chez leur enfant, le professeur se retrouve bien souvent médiateur dans un espace non médiatisé en ayant pour consigne de transmettre tout sauf du spectacle et confronté à une hiérarchie qui rêve encore d’une utilité à l’usinage du futur ouvrier.

Sortons des problématiques familiales, professionnelles et politiques pour soulager un peu les uns et les autres en prenant la figure, plus frivole, du consommateur: que lui apportent ces élèves et professeurs ? Bien peu au regard de l’immense travail accompli.son

Il est possible de dynamiser l’enseignement, et je suis bien trop éloigné de la problématique pour parler d’organisation ou même de pédagogie, par la circulation de l’information à travers les différents espaces sociaux (famille, école, nation, peut-être l’entreprise -2 ou 3.0- aussi), en la rendant actuelle et pertinente tout en assurant une qualité bien plus grande, éloignée de toute idée d’immuabilité du savoir dont on sait aujourd’hui qu’elle est partielle ou tout bonnement erronée parfois. Il s’agit de la vie -et par là de survie- de notre civilisation, de notre culture, qui ne passe certainement pas par l’entassement de la poussière et la collection des toiles d’araignées qui s’accumulent dans nos esprits ni même la perspective erronée d’un confucianisme accompli où chacun aurait une place délimitée et définitive.

Bien entendu l’élève de primaire n’apportera pas grand chose à la collectivité (à vérifier quand même) et on pourrait plutôt miser sur l’étudiant d’université, mais encore une fois, au sujet de Victor Hugo au moins, sur un site aussi accessible que Wikipedia il n’existe rien d’aussi intéressant qu’une synthèse de millions de copies de collégiens améliorée de contributions diverses, proposant des problématiques, des thèses ou interrogations… et pourtant ce ne serait qu’un minimum tant il se passe de choses intéressantes lorsqu’on convoque tant de personnes. Et de soit-disant autorités intellectuelles auto-proclamées auraient beau jeu de continuer à dire qu’il y a particulièrement des bêtises sur internet, sans aucune preuve d’ailleurs puisqu’on retrouve tout ce qu’il y a de plus bête dans nos bibliothèques (les bêtises les plus efficaces sont d’ailleurs nécessairement le fruit d’esprits particulièrement brillants) où a aussi débuté le dit phénomène de « gratuité » (on peut même y récupérer gratuitement de la musique sous une forme, certes, matérielle), quand ils font tout sauf travailler à l’élaboration d’une intelligence, quand ils veulent publier sans jamais rendre publique, grossissant toujours un tas de déchets toujours plus important. On sortait autrefois de l’école avec une tête remplie de certitudes qui ne sont aujourd’hui que des freins à l’innovation et qualifier les nouvelles générations de jeunesse stupide car dédaigneuses de nos références c’est ne pas se rendre compte que nous sommes dépassés par la société dont la responsabilité de l’apparition ne peut que nous incomber collectivement. D’ailleurs ceux qui passent ou ont passé récemment des concours le savent bien: rien n’est plus difficile qu’un examen adapté à notre époque durant lequel sont autorisés l’informatique et l’accès à l’information.

A condition de régler tous les problèmes de l’informatisation de l’école, et ils sont nombreux, on pourrait imaginer le flux du travail scolaire en rapport à une nouvelle économie de l’information comme je le propose ici modestement:

1.Le cours
2.L’exercice
3.L’étude
4.Métriques sur les élèves/les classes/les établissements/les méthodes/les systèmes d’enseignements sur les richesse, compréhension, maîtrise, l’innovation de la formation

Processus de fabrication du cours

1.Recherche d’information individuelle et expression de ce qui est trouvé
2.Synthèse collective des travaux individuels
3.Synthèse du cours avec et dans un wiki national
4.Synthèse avec et dans Wikipedia
5.Fiche individuelle sur le contenu
6.Synthèse collective pour élaborer les problématiques relatives au sujet
7.Synthèse avec et dans le wiki national
8.Synthèse avec et dans Wikipedia

Processus de fabrication des exercices + études

1.Élaboration individuelle d’un exercice à partir des problématiques
2.Synthèse collective des exercices
3.Publication de l’exercice dans le wiki national
4.Élaboration individuelle du corrigé
5.Synthèse collective des corrigés
6.Publication automatique du corrigé dans le wiki national
7.Recherche individuelle d’exercices existants
8.Synthèse de la recherche
9.Élaboration individuelle des corrigés des exercices sélectionnés
10.Synthèse collectives des corrigés
11.Synthèse avec et dans le wiki national
12.Synthèse avec et dans wikipedia

Je parle ici de Wikipedia parce que c’est pratique. Je ne connais rien à la localisation des serveurs, aux formats de stockage utilisés, à la méthode d’indexation… et on pourrait imaginer sans nul doute une manière d’ouvrir encore plus son système actuel afin d’en garantir la transparence si essentielle et une communication plus directe entre les différents systèmes informatiques.

Ce genre de processus pourrait ainsi non seulement dynamiser le contenu des connaissances à acquérir mais aussi systématiser la collaboration de production pour coller au monde du travail moderne, introduire l’utilisation d’outils informatiques (sur un fondement social au sein d’un processus), habituer à des objectifs d’innovation, questionner par strates successives l’articulation collectif/individuel, donner un (petit) peu plus de sens à la tâche scolaire en l’intégrant à une utilité sociale plus large qu’à l’intérieur de la classe, fluidifier l’exercice pédagogique avec le retour à une métrologie servant d’outil d’analyse plutôt que de finalité (si la classe ne change pas nécessairement fondamentalement -je pense que l’exercice récurrent du théâtre, du conte et de l’expérimentation et la scénarisation systématique du cours sont localement plus révolutionnaires et complexes à mettre en place- c’est le système pédagogique -cursus scolaire, programmes… voire formation continue- qui n’est pas du tout à la hauteur de ce genre de choses).

Enfin on pourrait aussi éviter le piège mondial de la course quantitative à la publication (plusieurs fois redondante et toujours rattachée à une propriété privée) dans les universités et grandes écoles dont certaines études internationales commencent à dénoncer la contreproductivité.

Des expériences sont en cours et rien ne permet d’avancer que l’école restera inchangée ni de conclure qu’un modèle unique est souhaitable. De nombreuses innovations, souvent des initiatives individuelles, tentent d’utiliser les formidables outils techniques qui sont à notre disposition, et notamment le web. Hélas, la plupart du temps, l’école oublie le rôle médiatique qu’elle tient et celui-là même du web. Il est question de dépasser la simple action scolaire pour retrouver l’essence même de l’école, publique, dans la diffusion.

Ainsi le projet pédagogique (« projet pédagogique » veut dire temporaire, exceptionnel, et à priorité basse au regard du programme et de la pédagogie classique) Ecrire un « Article de Qualité » Wikipedia proposé par Jon Beasley-Murray est pertinent, framablog en propose une analyse intéressante, et va un peu dans le sens de cette ouverture nécessaire. Mais on peut constater qu’à nouveau le projet collectif n’est pas pensé comme norme scolaire, que la production se doit d’être canonique au final et propriété du groupe. L’impossibilité de proposer un contenu non définitif voire en cours de réalisation, de travailler sur la négociation du sens qu’il apporte plutôt qu’à une élaboration définitive à la suite de laquelle l’élève pourra ne plus jamais y jeter un oeil est une contrainte trop importante et n’apporte pas grand chose. Implicitement réprouvée dans le monde scolaire cette idée d’incomplétude de la connaissance, de la Culture vue comme diffusion de représentations symboliques et en réalité de l’Homme naviguant entre génétique et mémétique, va explicitement à l’encontre de la vision actuelle du gouvernement français qui souhaiterait appliquer le processus industriel jusque dans la recherche fondamentale, transformant alors la modélisation de la réalité en produit unique, en bien matériel, sans aucune autre raison que l’adéquation à un fétichisme politiquement correct.

A côté le site faismesdevoirs.com faisait mine de s’engouffrer dans l’intervalle laissé ouvert entre l’exigence scolaire de compétition et la nature profondément collaborative de l’Homme et détruit toute l’efficacité du système actuel. Les professeurs et leur hiérarchie ont eu beau prendre la posture de la morale et s’écrier que le monde est injuste le petit buzz provoqué par ce site ne peut se comprendre que par la mise en relief d’une faille structurelle dans l’école d’aujourd’hui, l’arrêt du site (à visée uniquement promotionnelle ou à cause de pressions) ne règle rien.