Faut il favoriser les logiciels libres en éducation ?

30 mars 2009 dans Outils
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Faut il favoriser les logiciels libres en éducation ?

par Isabelle Motte et Grégoire Vincke

Quel que soit le domaine d’application, choisir un logiciel adapté à ses besoins est de plus en plus difficile. A côté des produits propriétaires connus, ou reconnus, mais malheureusement souvent coûteux, il existe une multitude d’alternatives, allant des produits simplement gratuits (gratuiciels ou partagiciels) aux produits libres (ou open source ).

Dans ce billet, nous vous proposons de passer en revue les différents aspects à considérer pour opérer un choix logiciel judicieux dans le cadre d’un système éducatif. Nous mettrons en évidence les arguments qui peuvent vous inciter à utiliser des outils libres mais aussi ceux qui peuvent vous décider à choisir des outils propriétaires.

Philosophie et droit

Dans la philosophie du logiciel libre un logiciel ne devrait pas être considéré comme un bien (matériel) mais comme un savoir (immatériel), si possible construit et amélioré collectivement. Dans cette philosophie un code informatique peut être comparé à une recette de cuisine : la recette décris comme créer le plat, on la partage volontier entre amis, chacun peux l’utiliser pour reproduire le plat chez soi, peux l’analyser pour en comprendre la logique, proposer des améliorations, et distribuer à ces amis une version remaniée ou améliorée.

Ces libertés d’utilisation, de copie, d’adaptation et de redistribution d’un logiciel sont les éléments fondamentaux caractérisant un logiciel Libre. Ces libertés sont en général spécifiées dans un contrat de licence , à l’instar de ce qui existe avec un logiciel propriétaire, sauf que ces licences libres sont permissives (elle vous donnent des droits) plutôt que restrictives (vous limitent dans vos droits) comme dans le cas des licences propriétaires. Mais dans les deux cas il est très important de noter que l’usage des droits relatifs au logiciel est défini dans un contrat de licence, c’est à dire un document à force juridique.

Le droit d’adaptation du logiciel implique celui de disposer du code source de cette application. Le code source des logiciels libres est donc disponible, généralement via internet, et leur développement est réalisé collaborativement : les améliorations proposées par chacun des contributeurs étant regroupées par l’équipe qui coordonne le projet. Cette esprit collaboratif s’étend également à la résolution des problèmes de chacun (développeur comme utilisateur) que ce soit via la rédaction d’une documentation (généralement au travers d’un wiki ) ou à la résolution de problèmes (au travers de forums de discussion ou la rédaction de billets dans des blogs ).

Ethique et déontologie

L’enseignement doit garantir l’égalité des chances et contribuer à la lutte contre la fracture numérique. Il est donc essentiel de proposer aux élèves et aux étudiants des logiciels aussi peu coûteux que possible, et qui peuvent s’installer sur des ordinateurs aux performances moyennes. Mais l’enseignement doit aussi former des futurs professionnels, et à ce titre il vous sera parfois obligatoire d’utiliser des logiciels propriétaires considérés comme des standards dans leur domaine. Mais en dehors de ces particularités professionnelles, et si des alternatives libres existent, il nous paraît pertinent de les envisager avec les étudiants en montrant leurs forces et leurs faiblesses. Qui sait si demain ces outils ne seront pas plus performants que leurs homologues propriétaires ?

Ce qu’il ne faut surtout pas faire, c’est utiliser des logiciels propriétaires sans respecter les contrats de licence ni les conditions d’utilisation. Le piratage de logiciel est illégal. Il serait donc scandaleux que l’école ou l’université légitime cette forme de vol au nom du sacro-saint droit au savoir et à la formation. Enfin, une institution éducative ne peut se permettre de participer au phénomène d’enfermement propriétaire, dénoncé sous une forme certes quelque peu provocatrice par Richard Stallman dans cette vidéo et cet article .

Fonctionnalités

Cela peut paraître élémentaire, mais le choix d’un logiciel doit reposer sur la liste des fonctionnalités réellement attendues, et non sur la liste des fonctionnalité possibles. Nous sommes toujours déconcertés par certains responsables informatiques qui opèrent des choix logiciels en fonction de la longueur de la liste de fonctionnalités : plus il y a de boutons, mieux c’est ! Avez-vous réellement besoin du dernier effet tourbillonnant dans vos diaporamas ? Au point de payer bien cher une licence alors que des solutions alternatives efficaces et gratuites existent, mais sans cet effet tourbillonnant inutile ? Les apprenants seront-il amenés à explorer l’essentiel des fonctionnalités du logiciel ou seront-ils déconcertés par la moitié des boutons qui ne seront jamais utilisés ?

L’essentiel des besoins informatiques des enseignants et apprenants peut aujourd’hui être rencontré avec des logiciels libres. Leur utilisation n’est ni plus facile, ni plus difficile que celle des logiciels propriétaires, mais si des habitude existent déjà il faut parfois compter sur un temps d’adaptation pour maîtriser ces nouveaux outils, comme lors de tout changement technologique. Si vous souhaitez vous lancer, nous vous conseillons de procéder pas à pas, en remplaçant chaque année un outil propriétaire par un équivalent libre. En informatique comme en toute chose, rien ne sert de forcer, ni de courir. Il faut bien choisir, et partir a temps.

Stabilité

On entend souvent que les logiciels libres sont moins stables que leurs homologues propriétaires. D’autres prétendent le contraire. Alors, réalité ou légende urbaine ?

C’est de la logique de conception de ces outils que sortira la vérité. Les logiciels propriétaires sont développés par phases planifiées se terminant par des périodes de tests sur un échantillon d’utilisateurs. Ils ne sont diffusés qu’après cette procédure parfois très longue. L’avis des utilisateurs est sondé en cours d’utilisation mais influence peu le développement. Les logiciels libres sont conçus selon des méthodes agiles, c’est-à-dire des méthodes qui impliquent très fortement les utilisateurs dès le début de la conception. Les développeurs proposent d’abord une version relativement stable de l’application qui répond aux spécifications essentielles attendues. Les utilisateurs sont alors invités à utiliser le logiciel, et à rapporter les bugs, ou à proposer des améliorations. Les développeurs étudient les demandes des utilisateurs, dressent la liste des corrections, améliorations et fonctionnalités nouvelles à apporter, et les codent en fonction. S’il bénéficie d’une bonne communauté de développeurs et d’utilisateurs le rythme d’évolution d’un logiciel libre peu donc être très rapide et aboutir en peu de temps à un logiciel réellement stable, et parfois nettement plus que ces concurrents propriétaires. Mais ceci n’est pas une généralité.

Le dynamisme de la communauté autour d’un logiciel (libre ou propriétaire) est un bon indicateur de sa qualité. Si plusieurs versions du logiciels sont diffusées sur l’année, si l’application est disponible pour plusieurs systèmes d’exploitation, si les utilisateurs obtiennent des réponses à leurs questions rapidement dans les forums, si la documentation associée est complète, traduite en plusieurs langues, … vous avez toutes les chances d’avoir trouvé un outil de qualité.

Pérennité

Quand vous opérez un choix logiciel, vous espérez qu’il reste valable un certain temps. Quand vous choisissez un outil propriétaire bien connu, vous pensez être assuré de sa pérennité. Pour les outils libres, cela semble moins évident de prime abord. Pourtant, l’ouverture du code source est une garantie de pérennité. Si l’outil est populaire, il se trouvera toujours bien quelqu’un pour poursuivre son développement. Dans le cas du logiciel propriétaire, si la firme fait faillite (et l’histoire ne cesse de nous démontrer que personne n’est à l’abri d’une telle éventualité, même les plus grand) ce « savoir » sera perdu. Par ailleurs, si la firme décide de changer de format, ou de ne plus soutenir un format antérieur, vos données sont perdues.

Contrairement aux logiciels propriétaires, les logiciels libres utilisent des formats de fichiers qui sont souvent communs et dont la structure est décrite : les formats ouverts. Exemples de formats ouverts : .odt pour les éditeurs de textes (contre-exemple propriétaire : .doc de MS Office), .png pour les images (contre-exemple propriétaire : .jpg), .ogg pour le son (contre-exemple propriétaire : .mp3), etc.
L’utilisation de formats ouverts vous apporte la sécurité en terme de pérennité de vos données, car même si votre logiciel libre préféré disparaît, les fichiers seront toujours utilisables et éditables par d’autres logiciels, qu’ils soient libres ou non.

Economie

L’aspect financier influencera évidemment votre choix. Certains établissements ont tellement peu de moyens qu’il est impensable d’acheter des logiciels. L’étude de marché portera alors uniquement sur des logiciels gratuits. Sur le marché des logiciels gratuits, les logiciels libres sont à privilégier. En effet, de nombreux logiciels propriétaires gratuits (gratuiciels ou partagiciels) sont souvent des outils proposés en test aux utilisateurs. Si le produit marche, il risque fort de devenir payant, sinon de disparaître.

Si des moyens sont disponibles pour un achat de logiciel, il est intéressant de poser une limite maximum. Vous éviterez ainsi de tester les outils qui sont hors de vos moyens.

Attention. Même s’il ne coûte rien, l’adoption d’un logiciel libre au niveau institutionnel a souvent un coût : celui de son apprentissage, et de l’adaptation des moeurs à son égard. Il s’agit cependant d’un coût ponctuel, qui sera d’autant plus faible que cette transition est prévue, expliquée, et accompagnée par des formations initiales.

Un choix logiciel dans une institution éducative doit aussi se penser en terme de coût pour les apprenants. De même que le prix du matériel scolaire est chaque année source de débat, il est du devoir des institutions éducatives de prendre en compte les éventuelles répercussions sur les budgets domestiques d’un choix technologique imposé dans un parcours de formation. Est-il normal de « forcer » les ménages à acheter du matériel plus performant, ou des logiciels propriétaires derniers cri, pour suivre le rythme technologique imposé par l’école, lorsque des solutions alternatives existent ?

Service

Certains choix logiciels supposent aussi des services associés. En matière de logiciels propriétaires, de nombreuses firmes accréditées se sont développées. En matière de logiciel libre, le marché est encore en construction. Il représente une belle opportunité de développement économique local, mais malheureusement, au jour d’aujourd’hui le service professionnel en matière de produits libres n’est pas aussi performant ni aussi diversifié qu’il ne l’est pour du logiciel propriétaire. Nous espérons que les jeunes informaticiens sauront saisir la réelle opportunité qui se présente à eux …

Portabilité

Dans certains cas, le logiciel choisi doit être utilisé sur des ordinateurs de différents types ou de différentes générations. Soit parceque l’institution tiens compte du parc informatique des apprenants, soit parcequ’elle possède elle-même un parc informatique disparate. Tous les logiciels ne permettent pas ce tour de force. Si votre parc informatique est hétérogène, pensez à relever les différentes configurations qui devront être supportées, et préférez les logiciels portables.

Les logiciels libres les plus populaires tournent sur tous les systèmes d’exploitation . Nous relevons tous les jours le défi de sensibiliser des professeurs et étudiants aux logiciels libres dans un pool équipé de Mac , alors qu’ils utilisent Windows chez eux et que nous utilisons nous-même Linux ! Cette souplesse est très (trop) rarement de mise avec leurs homologues propriétaires …

Sécurité

Pour certains besoins informatiques, l’aspect sécurité a une énorme importance. Sachez alors que les outils libres se distinguent en la matière. Puisque leur code source est accessible, vous avez la garantie qu’aucune faille, qu’aucun logiciel espion ne s’y est glissé. Notez quand même que certains logiciels propriétaires permettent aujourd’hui l’accès à leurs sources (sans pour autant permettre la modification du code). De cette manière, ils donnent une meilleure mesure de leur niveau de sécurité. Mais ils restent malheureusement extrêmement rare, surtout dans ceux qui sont gratuits.

Conclusion

Alors finalement, faut-il privilégier les logiciels libres dans l’enseignement ? Les arguments éthique et philosophique pèsent lourd dans la balance à nos yeux. L’essentiel, à notre avis, est de retenir qu’aujourd’hui ils ont atteint un niveau et une diversité qui fait qu’ils ne peuvent être ignorés à l’heure des choix stratégiques. Lorsqu’il sont pris en considération dans les analyses, il arrive de plus en plus qu’ils sortent dans le peloton de tête, même lorsque l’argument économique a peu d’influence.

Si le marché du service en matière de logiciel libre se développe bien, les entreprises risquent aussi de s’orienter vers les solutions libres. C’est sans doute le plus gros obstacle actuel à leur généralisation, avec la résistance au changement des intervenants.

Liens conseillés

Exemples de logiciels libres utilisables en éducation :
Suite bureautique complète : OpenOffice.org
Navigateur internet : Firefox
Gestionnaire d’emails : Thunderbird
Traitement d’images matricielles (photos) : The Gimp
Traitement d’images vectorielles : Inkscape

Ou trouver le logiciel libre qui vous manque ? Sur Framasoft !
Les logiciels libres y sont détaillés par finalités, et décris par les utilisateurs eux-mêmes.